En préambule, il convient d’observer que la thématique des Patent Trolls ou Chasseur de Brevets s’avère particulièrement préoccupante au point d’avoir suscité l’intervention du Président des Etats-Unis, M. Obama. En effet, aux Etats-Unis, ces Patent Trolls représentent près des 2/3 des litiges en matière de brevets, menacent les entreprises innovantes, découragent les investissements, font peur aux industriels, et mettent en péril l’économie américaine.
Dès lors, la question se pose : « Faut-il avoir peur des Patent Trolls ? »
Afin de répondre à cette thématique, il convient, dans un premier temps, de caractériser et de définir la notion de « Patent Trolls ».
D’un point de vue historique, la notion de « Patent Trolls » est apparue aux USA, et résultait de plusieurs phénomènes :
- un dysfonctionnement dans le système des brevets d’alors (plutôt favorable à de tels trolls) ;
- un contexte facilitant la mise en place du Patent Trolling (rémunération au litige, avocats spécialisés dans les litiges) ;
- un nombre particulièrement élevé de brevets (notamment dans certains domaines techniques comme l’électronique) empêchant d’identifier clairement l’information pertinente et rendant difficile la réalisation d’une liberté d’exploitation ;
- l’apparition d’acteurs qui ne fabriquent pas (les NPE, tels que les start-ups) mais qui innovent et qui veulent valoriser leurs brevets.
Si la valorisation des brevets est bien légitime pour des acteurs qui ne fabriquent pas (NPE), tous ces acteurs ne peuvent pas systématiquement être considérés comme des Trolls.
Pour Monsieur Julien PENIN, Professeur d’économie spécialiste en Propriété Intellectuelle de l’Université de Strasbourg, il existe trois types d’acteurs parmi les NPE:
- Les entreprises technologiques, les start-ups, les laboratoires de recherche, les universités, qui font de la recherche, et qui souhaitent valoriser leur travail par des titres exploitables ;
- Les intermédiaires de l’innovation (par exemple les SATT, les Patent Pools), qui sont assimilables à des courtiers en P.I, qui cherchent à valoriser les titres en créant un lien entre les différents acteurs économiques, qui facilitent l’évolution technologique ainsi que le fonctionnement du marché des brevets d’invention ;
- Les entreprises qualifiées de « Trolls » qui (pour la plupart) ne font pas de recherche, ne fabriquent pas, et n’établissent pas de liens entre les différents acteurs économiques.
Ces entreprises se caractérisent par :
- des pratiques de litiges « très agressives» ;
- un comportement visant à détenir (notamment par acquisition auprès d’un inventeur et/ou d’une entreprise) un « pool de titres » susceptible d’entraver l’activité industrielle d’une entreprise tierce, à se dissimuler (notamment lors de cette acquisition ou au travers d’une stratégie de cessions/acquisitions multiples), et à opposer ce « pool de titres » à cette entreprise tierce lorsque celle-ci a engagé tellement d’investissement (nouvelle usine, nouvelle ligne de fabrication, marketing…) qu’il lui est impossible de faire marche arrière, ce qui créé une situation de « hold up » favorable pour les « Patent Trolls ».
Il est à noter que le « Patent Trolling » ; c’est-à-dire le fait qu’une entreprise, sans recherche et non productrice, tente d’empêcher en activant son « pool de titre » dans divers litiges, l’activité industrielle d’une entreprise tiers fabricante ; n’est pas une activité illégale en soi. Les Trolls ont donc su exploiter un vide juridique en matière d’exploitation des titres de brevets pour s’enrichir pécuniairement.
Pour Monsieur PENIN, lutter contre les Trolls consisterait à :
- empêcher les Trolls de pouvoir se « dissimuler » ;
- travailler sur la nature de l’information brevet pour tendre vers un système avec une délimitation plus nette et moins floue de la protection par brevet ;
- augmentant l’accès à l’information brevet ;
- voir même réduire le nombre de brevets.
Ces préconisations conduiraient, selon Monsieur PENIN, à éviter que les entreprises ne se retrouvent en situation de « hold up ».
Selon lui, l’application de cet idéal utopique devrait permettre aux entreprises de mieux définir leur liberté d’exploitation et d’augmenter la qualité des brevets délivrés pour rejoindre l’idée de Monsieur Thomas Jefferson, fondateur de l’USPTO, qui définissait la notion de « brevet » comme une « exception de création et une exception à la libre concurrence qui doit être accordée avec parcimonie ».
Pour Monsieur Vincent PUYPLAT, Vice-Président de France Brevet, les Trolls ne peuvent pas se définir simplement comme des « entreprises qui valorisent des brevets pour lesquelles ils n’ont pas d’activité industrielle ». Les Trolls résultent d’une « Déviance » des structures juridiques et économiques mise en place, en particulier aux USA.
On observera que, face à la menace des Patent Trolls, les Etats Unis se sont, d’ores et déjà, dotés d’outils permettant de limiter cette menace. En particulier, la nouvelle loi sur les brevets (AIA America Invents Act) introduit une procédure (Inter Partes Review) par laquelle un tiers peut demander la nullité d’un brevet, ceci à moindre coût et avec de grandes chances de succès.
En Europe, la loi sur les brevets est différente de celle des Etats Unis et est moins favorable aux Patent Trolls. Cependant, le Vieux Continent n’est pas à l’abri des agissements de ces Patent Trolls. En effet, en Allemagne, des Patent Trolls ont, d’ores et déjà, engagé des tentatives pour tester le marché, ces tentatives étant, à ce jour, restées vaines.
Sources :
Rencontre Club Propial, CCI Strasbourg du 29/09/2015.
Thème : Faut-il avoir peur des Patent Trolls ?
Intervenants :
- PENIN Julien : Professeur d’économie spécialiste en Propriété Intellectuelle =P.I
- PUYPLAT Vincent : Vice-Président de France Brevet