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Paquets neutres et droit de marque

Cigarette

Le 25 septembre 2014, la Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Marisol Touraine, proposait un projet de loi ayant pour objet l’application de la Directive 2014/40/UE du Parlement Européen et du Conseil du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes.

La Directive 2014/40/UE prévoyait notamment que « chaque unité de conditionnement ainsi que tout emballage extérieur des produits du tabac à fumer portent des avertissements sanitaires combinés », ces derniers devant apparaître « contre le bord supérieur d’une unité de conditionnement et de tout emballage extérieur, et sont orientés de la même façon que les autres informations figurant éventuellement sur cette surface du conditionnement », laissant toutefois le soin aux Etats de mettre en œuvre ces dispositions.

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dite loi « Santé », prévoit des emballages « neutres et uniformisés ». Le décret sur la vente des paquets neutres à partir du 1er janvier 2017 a été publié au Journal Officiel fin mars 2016.

Ce projet de loi a pour objet plus large la protection du consommateur, notamment face aux dangers engendrés par le tabagisme.

Il a toutefois été fortement dénoncé par les cigarettiers, considérant qu’ils subissaient par l’application de cette loi, et en particulier par la mise en place du paquet de cigarettes neutre, une « expropriation » de leurs droits à la propriété intellectuelle.

L’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle définit la marque comme « un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ». Ce signe doit permettre au public d’identifier le produit ou le service qu’il recherche et de le différencier d’autres produits de même nature, sans qu’aucune confusion ne soit possible.

Le fait que les marques soient bannies des paquets constituerait, selon les cigarettiers, une atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle et entrainerait un risque sérieux de confusion des produits par les consommateurs.

Ils craignaient également la mise en œuvre d’actions en déchéance de leurs marques figuratives. Rappelons en effet qu’une marque qui n’est pas exploitée pendant une période de cinq ans encourt la déchéance pour non usage. L’article L. 714-5 du Code de propriété intellectuelle prévoit cependant la conservation des droits en cas de « justes motifs » de non exploitation. Par application de cet article, les compagnies de tabac resteraient donc propriétaires de leurs droits de marques de cigarettes mais ne pourraient ni les utiliser ni les exploiter.

Les cigarettiers s’inquiétaient en outre de l’impossibilité de défendre leurs droits dans le cadre d’actions en contrefaçon.

Outre le droit des marques, la mise en œuvre du paquet neutre entrainerait une atteinte à l’ensemble des droits de propriété intellectuelle des cigarettiers : aux droits d’auteurs sur les dessins et logos, aux droits sur les modèles de paquets déposés, voire une atteinte à des droits de brevets.

Ils revendiquaient ainsi un droit à compensation financière, évaluée à près de 20 milliards d’euros.

La question de la constitutionnalité de cette loi a été soulevée devant le Conseil Constitutionnel, saisi le 21 décembre 2015. Le 21 janvier 2016, le Conseil statuait, considérant que la loi ne s’opposait pas à la constitution française. Il considérait en effet que, dans la mesure où la loi n’interdit pas l’inscription des marques sur les paquets de cigarettes, les produits pourront toujours être identifiés par les consommateurs.

Dans un deuxième temps, plusieurs sociétés fabriquant ou commercialisant des produits du tabac, dont la société Seita, filiale française du cigarettier britannique Imperial Tobacco, ainsi que la Confédération nationale des buralistes de France, ont saisi le Conseil d’État le 10 mai 2016 afin de faire annuler le décret d’application de la loi « Santé ». Ils mettaient ainsi en avant le non-respect de leurs droits de propriété intellectuelle lié à la mise en œuvre de la loi, ainsi qu’une contradiction de cette loi avec la Déclaration des Droits de l’Homme et la Constitution française en instaurant une privatisation des droits de propriété intellectuelle.

Le 23 décembre 2016, le Conseil d’État rejetait leur demande d’annulation, considérant que les interdictions prévues par la loi « Santé », en matière notamment de conditionnement des produits du tabac, sont proportionnées à l’objectif de santé public recherché par la mise en œuvre de cette loi. En effet, ces interdictions ne visant pas les marques nominales ni les dénominations commerciales associées, l’identification des produits reste garantie pour les consommateurs.

Au niveau européen, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) s’est également prononcée en faveur de la directive du 3 avril 2014 sur les produits du tabac. Cette directive avait été contestée dans trois affaires, les demandeurs estimant que le législateur de l’Union avait outrepassé sa marge d’appréciation en la matière. La CJUE a néanmoins déclaré que les dispositions de la directive de 2014 qui tolèrent des normes nationales plus contraignantes sont effectivement licites et proportionnées.

La mise en place des paquets de cigarettes neutres, considérés conformes aux droits de propriété intellectuelle, et notamment au droit des marques, est ainsi entrée en application au 1er janvier 2017 sur le territoire français.

L’affaire, qui aurait pu s’arrêter là, a toutefois connu un nouveau rebondissement avec la proposition de loi du député Jean-François Marcel du 10 mai 2017. Ce projet vise en effet « à abroger le paquet neutre pour revenir à la stricte application de la directive 2014/40/UE14 ». Ce projet de loi précise que la directive européenne serait parvenue « à trouver un équilibre permettant de renforcer la lutte contre le tabagisme sans contrevenir au droit de la propriété intellectuelle », sa « surtransposition » en droit français nuisant en revanche aux buralistes et à la politique de santé publique et son efficacité n’ayant pas, selon le député Marcel, été démontrée. Le projet de loi précise en outre qu’ « il est à craindre que le paquet neutre pour les produits du tabac constitue un premier pas vers son élargissement à d’autres secteurs, comme l’alcool ou l’agroalimentaire, ce qui nuirait fortement à des filières essentielles de nos territoires ».

Précisons par ailleurs qu’entre-temps les élections présidentielles et législatives françaises de mai et juin 2017 ont entrainé la mise en place d’un nouveau gouvernement et d’une nouvelle assemblée.

L’existence du paquet de cigarettes neutre, pourtant reconnue conforme à la Constitution notamment, pourrait donc être remise en cause, sans doute pour le plus grand soulagement des titulaires de marques de produits du tabac.

©Cabinet Bleger-Rhein-Poupon 2017

Paquets neutres et droit de marque